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LES REMPARTS D'URVILLE (Calvados)
Ci-dessus, photos du manoir d'Urville par Gilloudifs
« Les premières mentions d’Urville datent du 12e siècle. Urville dépendait alors de la puissante seigneurie de la famille Marmion. Une enceinte circulaire datant de cette époque a été fouillée en 1968 sur la rive gauche de la Laize, et pourrait être à l’origine du manoir désormais installé dans la vallée. Ce manoir, dont les éléments les plus anciens datent du 14e siècle, abritait l’église paroissiale Saint Vigor jusqu’à son déplacement sur le plateau au 17e siècle au centre du village actuel.
Les maisons les plus anciennes, ainsi que la Ferme de Mathan datent de la deuxième partie du 18e siècle. » [1]Plan de situation de l'enceinte et du manoir d'Urville ; blason de la famille de Marmion extrait de https://www.freepng.fr/png-0ngfhg/
L'enceinte circulaire d'Urville
F. Galeron, 1830 :
« Une motte féodale, avec une enceinte de fossés, connue sous le nom de Parc ès Mathan, est à l'entrée des bois d'Urville, vers la rivière. Au centre la butte factice est enveloppée d'un premier fossé de deux cents pas de circuit ; un autre Mamelon factice en forme de cavalier, servait de défense du côté de l'eau. Ce fort est en vue et à peu de distance de l'emplacement du châtel des sires de Gouvix. Peut-être le Marmion qui résidait à Urville y avait-il son point de défense, dans le 12e siècle. » [2]
M. Fixot, 1968 :
« Enceinte d'Urville (Coordonnées Lambert : 406 350 X 150 600).
La transition entre l'enceinte circulaire simple et les ouvrages plus complexes est fournie par cette fortification qui domine la vallée de la Laize, sur la rive gauche de la rivière. Elle est constituée d'abord par une enceinte semblable par ses dimensions à celle de Bretteville-sur-Laize ; la forme en est un peu différente puisqu'elle affecte à peu près le dessin d'un carré aux angles très arrondis ; la plus grande longueur, prise du rebord extérieur d'un fossé à l'autre, est de 40 mètres ; la plus grande largeur, mesurée de la même façon, a environ 35 mètres. La conservation des remparts de terre est très irrégulière : à l'ouest, ils s'élèvent à plus de 3 ni. au-dessus du fossé en formant un abrupt très vigoureux, tandis qu'ils s'effacent à mesure que l'on approche du côté oriental de l'enceinte et que disparaît le fossé : les terres ont sans doute ruisselé, appelées par le vide que provoque la forte déclivité du flanc de la vallée.
En direction du plateau, au nord-ouest, un avant-corps a été élevé. En forme de demi-lune, il couvre le tiers du périmètre de l'enceinte du côté le plus vulnérable. Son rempart, très élevé au sommet du croissant, diminue de vigueur et d'épaisseur à mesure que l'on se rapproche des extrémités.
L'ouvrage a été élevé sur une plate-forme qui domine la Laize au sud-est, et qui se trouve limitée à l'est par un vallon affluent descendant des hauteurs du Bois d'outre-Laize.
L'enceinte est, cette fois encore, éloignée du village. Il faut cependant se rappeler que l'église d'Urville n'est à son emplacement actuel que depuis le 14 siècle. Auparavant, le lieu de culte se trouvait au fond de la vallée (Le lieu de culte consacré primitivement à saint Vigor a été placé sous le patronage de Notre-Dame), proche du manoir qui n'est pas à plus de 1 km de l'enceinte.
Il semble que la route qui passe à proximité de la fortification est ancienne. De l'est, elle vient de la campagne ; par Saint-Sylvain et Cauvicourt, elle gagne en droite ligne le passage actuel de la Laize en évitant le site du village moderne. Vers l'ouest, nous suivons sa trace au-delà du Mesnil-Touffray en direction du Mesnil-Aumont. Nous ne sommes pas absolument sûr qu'elle se prolongeait vers Cingal. Cependant. le transfert de l'église dédiée à saint Vigor, indique un déclin certain, sinon la disparition totale, de l'habitat qui se trouvait voisin du manoir, à l'endroit où la route franchissait la Laize. Le village s'est reconstitué sur le plateau, à l'écart de l'ancienne route, qui désormais avait perdu son importance. En revanche, le passage voisin de Bretteville-sur-Laize a prospéré. Aussi sommes-nous tentés de penser que ce phénomène n'est pas sans rapports avec la lente décadence de Cingal au lendemain de la période carolingienne, et à la naissance d'une nouvelle activité liée au développement de l'aire d'influence des Marmion autour de Bretteville-sur-Laize et de Barbery ; Urville se trouvait trop excentrique dans ce nouveau cadre. » [3]
Ci-dessus : plan extrait de ce même document [3] et du document ci-dessous [4]. Photo extraite de ce même document [3].
Joseph Decaëns, 1968 :
« Le village actuel d'Urville (Calvados) est situé sur la rive droite de la Laize ; il s'étend à la fois sur le versant de la vallée et sur le plateau qui la domine (Urville (canton de Bretteville-sur-Laize) compte aujourd'hui 470 habitants). L'église qui s'élève aujourd'hui au centre de la petite agglomération date de la fin du 16e siècle ; elle est mise sous l'invocation de Notre-Dame.
Auparavant, l'église paroissiale se trouvait au fond de la vallée, sur la rive gauche de la rivière, dans l'enceinte du manoir seigneurial ; elle était dédiée à saint Vigor, évangélisateur du Bessin et évêque de Bayeux au 6e siècle (Ada Sanctorum, t. 1, nov., pp. 287 et suiv. — Baedorff, Untersuchungen liber Heiligenleben der Westlichen Normandie, Bonn, 1911. — Dom G. Aubourg, Saint-Vigor). Cette dédicace, généralement considérée comme ancienne, pourrait faire remonter les origines d'Urville à l'époque mérovingienne. La découverte, en 1860, d'un vase en bronze gallo-romain, aux abords du pont de la Roque, ne prouve pas qu'il ait existé à cet endroit un habitat antique, mais cela est possible, le « chemin haussé » passe à moins de 2 kilomètres et nous avons noté plus haut que la plaine toute proche fut colonisée dès cette époque (E. de Beaurepaire, De quelques antiquités récemment signalées en Normandie, dans B.S.A.N., t. IX, pp. 224-228, 2 fig.). Du manoir médiéval, il ne subsiste que des bâtiments du 14e siècle, en ruines ; l'ancienne église Saint-Vigor fut démolie en 1604 et remplacée par la petite chapelle actuellement transformée en étable (F. Galeron, Statistique de l'arrondissement de Falaise, t. III, p. 143. F. Vaultier, Recherches historiques sur l'ancien pays de Cinglais, dans Mém. de la Soc. des Antiq. de Normandie, t. X, 1836, pp. 234-237. A. de Caumont, Statistique Monumentale du Calvados, t. II, pp. 248-252.). On ne sait pas pourquoi l'église a changé d'emplacement. Le village était-il d'abord situé à proximité du manoir, près de la rivière ? Son déplacement pourrait alors s'expliquer par le désir de se mettre à l'abri des fréquentes inondations dues à la Laize. L'église aurait suivi le mouvement.
Est-ce Urville qui, sous la forme Urtulum, est cité dans le Dotalitium Judithae ? On trouve ce nom dans l'énumération des domaines que Richard II donne à sa femme dans le Cinglais : « Concedo tibi has villas : Cingal, Urtulum, Frasnetum, Bretevilla », etc. (M. Fauroux, Recueil des Actes des ducs de Normandie, n° 11, p. 84). M. J. Adigard des Gautries pense que l'identification, proposée au siècle dernier par Vaultier, reste hypothétique, à moins que, dans la version unique et très corrompue du Dotalitium qui nous est parvenue, Urtulum soit une erreur de lecture (J. Adigard des Gautries, Les noms de lieux du Calvados attestés de 911 à 1066, dans Annales de Normandie, t. III, 1953, p. 145).
Ci-dessus, document extrait de ce même document [4]
Ce n'est qu'à la fin du 12e siècle qu'on trouve une mention d'Urville moins incertaine : en 1181, la charte de dotation de l'abbaye de Barbery est souscrite par un Guillelmus Marmion de Urvilla (Gallia Christiana, t. XI, Instr., col. 85-86). La famille seigneuriale des Marmion est, dans le Cinglais, la seconde en importance après celle des Taisson dont elle relève pour une partie de ses possessions. Le siège de la seigneurie est Fontenay-le-Marmion ; la puissance territoriale de celle-ci semble d'abord s'étendre sur la rive occidentale de l'Orne. Au 11e siècle, un Willelmus Marmion est cité dans la charte de fondation de l'abbaye Saint-Etienne de Fontenay ; Robert Marmion, probablement le frère aîné du précédent, aurait pris part en 1066 à la conquête de l'Angleterre (Gallia Christiana, t. XI, lustrum., col. 62. G. Saige, Cartulaire de la seigneurie de Fontenay-le-Marmion, Monaco, 1895, p. XVIII). La fondation de l'abbaye de Barbery au cours de la seconde moitié du12e siècle est l'œuvre de Robert II qui met à exécution un projet de son père Robert Ier. Guillaume Marmion d'Urville paraît le contemporain de Robert II et son parent ; il était alors apparemment seigneur d'Urville. L'acte d'octobre 1181 montre que les possessions des Marmion comprennent la plus grande part de Cintheaux, Quilly, Bretteville-sur-Laize, Barbery ; il mentionne aussi le nom de Radulphus de Goviz, qui dépend de la même famille féodale. Urville et Gouvix complètent ainsi le domaine des Marmion, lui donnant une consistance notable à l'est de la forêt de Cinglais (Gallia Christiana, t. XI, lustrum., col. 85).
Ci-dessus, blason de la famille de Marmion extrait de https://www.freepng.fr/png-0ngfhg/
A partir du 13e siècle, les textes et les pierres tombales de l'église signalent un certain nombre de seigneurs d'Urville, mais ceux-ci ne portent plus que le nom de leur fief ; il est donc impossible de savoir s'ils descendent de Guillaume Marmion.
L'enceinte circulaire qui fait l'objet de cette étude se trouve dans le bois d'Urville ; celui-ci forme, avec le parc d'Outre Laize, un massif détaché, à l'est de la forêt de Cinglais. Par rapport au village d'Urville, ce bois est situé à l'ouest, sur le versant opposé de la Laize (fig. 1). Pour gagner le site de l'enceinte, il faut emprunter la route de Barbery qui, en quittant l'agglomération, descend vers la rivière qu'elle franchit non loin du manoir et de l'ancienne église Saint-Vigor, puis monte en entrant dans le bois. L'enceinte est à environ 1 kilomètre d'Urville et à 500 mètres du pont, un peu avant d'arriver sur le plateau, sur la gauche de la route. L'endroit était recouvert d'un taillis sous futaie qu'il fallut essarter avant d'entreprendre la fouille archéologique (I. G. N. au 50.000e, feuille Mézidon, XVI, 12, Coord. Lambert,406,500).Sur une bonne moitié de son pourtour, l'ouvrage fortifié est protégé par des pentes abruptes, ce qui donne au site l'aspect d'un éperon : la partie de l'enceinte exposée au sud-est domine directement la rive gauche de la Laize ; celle qui regarde le nord-est est au bord d'un vallon sec qui rejoint rapidement la vallée principale. Au nord-ouest et au sud-ouest, la fortification n'est séparée du plateau, distant d'une centaine de mètres, que par une pente légère. De l'enceinte, on voit parfaitement, depuis la coupe du taillis, le village d'Urville sur le coteau opposé, en direction de l'est, mais il n'est pas possible d'observer, vers le nord-est, le site du manoir caché par une colline boisée.
L'ouvrage est composé de deux éléments : une enceinte
grossièrement circulaire et un avant-corps en forme de croissant de lune (fig. 2). L'enceinte proprement dite, dont le plan se rapproche plutôt d'un rectangle arrondi aux angles, est formée d'un rempart de terre précédé d'un fossé entourant un espace intérieur qui s'incline doucement d'ouest en est. La plus grande longueur, de sommet à sommet du rempart, est de 28 mètres (longueur intérieure : 24 m.) ; la plus grande largeur, mesurée de la même façon, est de 23 mètres (largeur intérieure : 18 m.).
La hauteur de la levée de terre est irrégulière : elle est, à partir du fond du fossé, d'environ 3 mètres à l'ouest de l'enceinte, d'environ 1,50 mètre ailleurs, sauf à l'est où le talus est presque arasé, peut-être à la suite d'un glissement des terres vers le ravin qui borde ici, directement, l'enceinte, sans la présence intermédiaire du fossé. Toute la partie sud-ouest de l'enceinte est occupée par les vestiges en pierre d'un bâtiment
rectangulaire adossé au rempart ; les dimensions de cette construction sont les suivantes : 13,50 X 7,50 mètres.
L'avant-corps est également limité, vers l'extérieur, par un rempart de terre précédé d'un fossé ; cet ouvrage avancé protège l'enceinte au nord-ouest, du côté du plateau, sur presque un tiers de sa circonférence. L'espace intérieur compris entre le rempart et le fossé de l'enceinte est assez restreint : au sommet du croissant, la largeur n'est que de 4 mètres, elle s'amenuise en allant vers les extrémités ; la corde de cet arc de cercle mesure environ 35 mètres. La hauteur de la levée de terre varie entre 1,50 et 2 mètres. Ce talus est échancré à peu près au milieu de sa longueur pour laisser la place à un passage d'entrée. Ce dernier est précédé d'un « pont de terre » franchissant le fossé.
Pour l'ensemble de cette fortification, la plus grande dimension, mesurée en suivant un axe N.O.-S.E. qui passe par le sommet de l'avant-corps, est de 47 mètres, tandis que la largeur maximale, relevée le long d'un axe N.E.-S.O., est de 40 mètres.
Sur l'ancien cadastre d'Urville, la parcelle où est établie
l'enceinte est appelée le « Moulin à Huile » ; ce nom est donné par extension, car le moulin dont il subsiste des ruines était au fond de la vallée, un peu en amont de notre site (Urville, plan parcellaire 1809, section F, n°s 14 à 21). Le plan du domaine d'Outre-Laize donne à la coupe du bois le nom de « Taille Mathan » (Le bois d'Urville fait partie du domaine d'Outre-Laize). C'était déjà ainsi que la nommait F. Galeron, au siècle dernier, lorsqu'il signala l'existence de cette fortification (F. Galeron, op. cit., t. III, p. 136. L'auteur signale la fortification comme une « motte ») Une ferme d'Urville porte aussi ce nom. (Ferme Mathan à Urville, plan parcellaire 1809, section C, nos 113-114). M. Fixot a par ailleurs trouvé ce toponyme à Pierrefitte-en-Cinglais pour désigner une « maison forte » (M. Fixot, op. cit., p).
L'apport de la toponymie est assez mince, on le voit ; il n'y manque pas cependant le classique « Camp de César » (E. de Beaurepaire, op. cit., dans B.S.A.N., t. IX, p. 224) !
La route qui passe à proximité de l'enceinte est ancienne ; elle existait probablement au haut moyen âge, mais elle ne menait pas à Barbery comme aujourd'hui ; les cartes, et surtout les photographies aériennes montrent bien son tracé primitif : à la sortie de la forêt, au Mesnil-Touffray, elle prenait la direction de Cingal (Photographie aérienne nos 114-115, Mission Mézidon, Villers, 1947).
La petite enceinte circulaire d'Urville a fait l'objet, en 1963 et en 1964, de deux campagnes de fouilles effectuées par le Centre de recherches archéologiques médiévales de l'Université de Caen, sous la direction de M. de Bouard (Au cours des deux campagnes, 25 stagiaires, étudiants et professeurs, venus de différentes universités françaises et étrangères, se sont initiés à ce genre de recherches. Le Centre exprime ici sa vive gratitude à M. d'Oilliamson qui a bien voulu autoriser ces campagnes de fouilles). Ces fouilles ont porté sur l'enceinte, sur la construction rectangulaire en pierre et sur l'avant-corps. » (…)Ci-dessus, photos extraites de ce même document [4].
Pour les fouilles réalisées voir ici.
« Conclusion
Quelle était la fonction de cette enceinte au moment de sa brève occupation ?
Le caractère décevant des résultats obtenus au cours des campagnes de fouilles ne permet que d'émettre des hypothèses à ce sujet. Examinant ce problème dans le cas des petites enceintes normandes, M. de Bouard écrivait : « on peut hésiter entre deux hypothèses : fonction militaire, fonction résidentielle et agricole » (M. de Boûard, Les petites enceintes circulaires d'origine médiévale en Normandie, dans Château Gaillard, I, Caen, 1964, p. 31). L'enceinte d'Urville n'échappe pas à ce dilemme.
S'agit-il d'une simple maison rurale protégée tant bien que mal contre les rôdeurs et les carnassiers ou bien d'une fortification militaire comme semblerait l'indiquer la valeur stratégique du site et la présence d'un avant-corps (si toutefois celui-ci ne servait pas simplement au parcage nocturne des animaux) ?
En faveur de la première hypothèse, on peut noter l'aspect peu puissant et la structure rudimentaire des remparts, l'emplacement de la maison à l'endroit le plus exposé, militairement parlant, la faiblesse du dispositif d'entrée dans l'avant-corps et le caractère aberrant du chemin escaladant le rempart d'un possible ouvrage fortifié ! Cependant, il faut bien reconnaître qu'un habitat paysan aurait dû laisser dans le sol plus de vestiges, notamment des traces de foyer, des déchets de cuisine,
des tessons plus nombreux, des objets utilitaires en fer, notamment des outils agricoles. On ne voit d'ailleurs pas pourquoi une exploitation agricole ayant son centre dans l'enceinte aurait eu une existence aussi courte. La terre du plateau, à peu de distance de l'enceinte, n'est pas mauvaise pour l'agriculture et semble avoir été cultivée dans une période relativement récente.
L'absence d'une véritable couche d'occupation, notée dans toutes les petites enceintes circulaires de Normandie dont le sol a été jusqu'ici sondé, parlerait en faveur de la seconde hypothèse. S'agirait-il d'une fortification temporaire, établie en vue d'une opération de siège ou d'une entreprise militaire d'assez courte durée ? Si, comme semble l'indiquer la céramique recueillie, l'enceinte et l'édifice de pierre ont été construits à la fin du 11e ou au début du 12e siècle, ils pourraient être en relation avec les guerres civiles qui agitèrent la Normandie, après la mort de Guillaume le Conquérant, de 1088 à 1106.
Des difficultés que rencontra l'autorité pendant cette période troublée, on peut avoir un écho dans la proclamation en 1091 des Consuetudines et Justicie. Les deux fils du Bâtard, Guillaume le Roux et Robert Courteheuse, un moment réconciliés et probablement effrayés devant les désordres qu'ils avaient d'ailleurs eux-mêmes contribué à faire naître, voulurent rappeler et revendiquer les prérogatives qui étaient celles du pouvoir ducal au temps de leur père. On sait que ce texte porte une réglementation du droit de fortification : Nulli licuit in Normannia fossatum facere in planam terram nisi tale quod de fundo potuisset terram jactare superius sine scabello ; et ibi non licuit facere palicium nisi in una régula et illud sine propugnaculis et
alatoriis (Edit, par Ch.-H. Haskius, Norman Institutions, p. 28). C'est le développement plus ou moins important des organes de défense qui est pris comme critère de leur caractère militaire ou civil : il est permis de creuser des fossés à condition que, du fond de ceux-ci, on puisse rejeter la terre sans l'aide d'un échafaudage, c'est-à-dire d'un relais. Cela limite la profondeur des fossés non militaires à 3 mètres environ.
A Urville, il y a, entre le fond primitif du fossé révélé par les coupes et le niveau actuel du rempart, une différence d'altitude variable selon les endroits : elle est, à l'ouest de l'enceinte, de 3,50 mètres, ailleurs d'environ 2 mètres. Pour connaître la hauteur d'origine, il faut évidemment apprécier la masse des éboulis qui ont glissé sur les versants du rempart et dans le fossé ; il semble qu'on puisse ajouter facilement 0,50 à 1 mètre à la hauteur actuelle de la levée de terre.
Il est donc possible que la petite enceinte circulaire d'Urville ait eu une destination militaire. On peut imaginer différentes fonctions : fortification préparée comme refuge en cas de danger, ouvrage de campagne rapidement construit pour s'assurer d'un point stratégique ou pour surveiller une route, habitat provisoire de chefs guerriers avant leur installation définitive comme seigneurs dans une région ou dans un village.
Cette résidence aurait pu, par exemple, précéder la fondation du manoir. Les fouilles ont montré que l'utilisation de l'ouvrage dut être brève. La construction de cette enceinte était-elle terminée lorsqu'elle fut abandonnée ? » [4]Le manoir d’Urville
« Le monument est situé dans le département français du Calvados, à Urville, à 600 mètres au nord-ouest de l'église Notre-Dame. » [5]
Ci-dessus : le cellier du manoir d’Urville - De gauche à droite : 1. Manoir d'Urville du 13e à Urville (Calvados) par Roi.dagobert — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=26886377 ; 2.Une photo extraite de https://www.calvados-tourisme.com/offre/manoir-durville/ ; 3. Une photo de Michel http://patrimoine-de-france.com/calvados/urville/manoir-10.php ; 4. Manoir d'Urville. Cellier. Elévation ouest sur cour. https://inventaire-patrimoine.normandie.fr/dossier/presentation-de-la-commune-de-urville/48e48503-957f-4ccb-88c5-c2d38708a6e3
Frédéric Galeron, 1830 :
« C'est près de là qu'est le manoir, résidence des seigneurs du lieu jusqu'en 1789. Le manoir renferme la primitive église et deux chapelles, dont l’une, à lancettes est du 13e siècle et bien conservée. On y voit la tombe d'un chevalier d'Urville et de sa femme, morts en 1300 et 1325. Le chevalier a son épée au côté, son bouclier sur sa poitrine, une tunique tombant aux genoux, une cotte de maille aux bras et aux jambes et des éperons. La femme a une longue robe sans ceinture, comme un peignoir ou un linseuil, et une coiffure de religieuse. Les Ornements d'entourage sont d'un gothique déjà avancé. Le chevalier tient sous ses pieds un léopard. [On peut voir ces tombes dans l’Atlas, dessinées avec soin par M. Alp. de Brébisson. L'inscription du chevalier porte : Robert de Urville chevalier jadis seigneur de Urville qui trépassa en l'an de grâce mil ccc. Préon Dex qu'il mette…]
On prétend que ces constructions religieuses ont appartenu aux Templiers mais c'est évidemment une erreur. Ce manoir, entouré de beaux bois, fut toujours occupé par les seigneurs d'Urville. La Maison est insignifiante, et l'enceinte néanmoins offre de l'intérêt. M. de Polignac Vient de réunir le tout à sa belle terre d'Outrelaise dont il augmente ainsi l'agrément en rassemblant autour d'elle tout ce que les alentours offrent de souvenirs historiques.
Ce fut vers 1600 que M de Lalongny voulant éloigner l'église de la paroisse, qui était dans l’enceint de son habitation, fit construire la nouvelle église au milieu du village principal, où on la voit aujourd'hui. Il soutint à cette occasion un procès avec les habitants qui dura vingt-deux ans. Le pape ordonna, après une longue instruction, que la paroisse resterait où elle est aujourd'hui mais que le seigneur entretiendrait, pour les fidèles, une Chapelle dans son château. C'est cette chapelle où sont les tombes du chevalier d'Urville que l’on a respectées jusqu'ici. Les autres constructions religieuses sont employées au service de la ferme.
[M. de Labbey, qui vient de céder les bois et le manoir d'Urville à M. de Polignac, possédait des titres qui se rattachent au différent survenu entre le seigneur et les habitants d'Urville. D’autres pièces, sur les anciennes familles du lieu, étaient également entre ses mains. Mais l'espace nous manque pour en parler plus longuement ici.
Ci-dessus, photos de l'église d'Urville par Gilloudifs
La nouvelle église fut consacrée en 1606. Une inscription, placée sur le sommet de la tour, porte que ce fut Jehan de Viépont, évêque de Meaux, qui la dédia à la Vierge, le 3 nov., par permission du card. d'Ossat évêque de Bayeux, et à la diligence de Ch. de Lalongny, gentilhomme de la chambre du roi. Le curé se nommait. Ch. Hélin.] » [2]
Ci-dessus : une photo aérienne années 1950-1965 extraite du site Géoportail ; au centre, une photo aérienne du manoir d'Urville extraite du site Géoportail ; à droite, une photo du site par Gilloudifs.
Arcisse de Caumont, 1850 :
« Une partie du manoir est en ruines, et M. le comte de Polignac, qui en est propriétaire, en conserve avec soin les murs. Le reste est habité par un fermier : la partie la plus ancienne de ce qui reste a été dessinée par M. Victor Petit ; elle peut dater de la première moitié du 14e siècle ; une ligne de quatre-feuilles orne le sommet du mur.
Quand ils transférèrent l'église paroissiale, les seigneurs d'Urville érigèrent une chapelle sous l'invocation de saint Vigor, patron de l'église primitive. On voit cette chapelle de l'autre côté de la cour ; elle n'a d'intéressant que deux pierres tombales du 14e siècle qui, vraisemblablement, étaient dans l'église paroissiale, et qui furent alors transférées dans la chapelle : ces pierres ont, en effet, été rognées, ce qui prouve qu'elles ont été déplacées.
Ci-dessus, un dessin de V. Petit extrait de ce même document S.M.C. [6].
Sur une de ces pierres est un chevalier gravé au trait, ayant sous les pieds un lion. On lit autour de la pierre : Robert de Urville chevalier jadis seignour d’Urville qui trépassa l’an de grâce MCCCL (1350). L'autre pierre présente la figure de la femme d'un seigneur d'Urville, dans le costume du 14e siècle : l'inscription atteste qu'elle trépassa à la St. Martin d'hiver, l'an de grâce M CCCXXV (1325).
Les rognures qu'ont éprouvées ces pierres tombales ont endommagé les inscriptions, mais il serait facile de les rétablir en entier en décrassant les caractères.
Le manoir d'Urville était entouré de fossés ; il a été acquis il y a quelques années de la famille de Labbey par M. le comte de Polignac et réuni au domaine de Gouvix. » [6]
Ci-dessus - L’église Notre-Dame de Gouvix contient les pierres tombales de Robert d’Urville et de son épouse Aélis de Falaise à l'origine placées dans l'église Saint-Vigor d'Urville. Les dalles ont été transférées en l'église Notre-Dame de Gouvix en 1910 et classées la même année à titre d'objet aux monuments historiques. Photos extraites de https://www.facebook.com/Calvadospatrimoine/photos/a.2179679149018029/2055568041429141/?type=3&theater
Ci-dessus, à gauche une photo de l'ancien logis ruiné par Pascal Corbierre (2015) Crédit photographique :© Région Basse-Normandie - Inventaire général -https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/memoire/IVR25_19791400103 ; au centre, une photo de la grange par Pascal Corbierre Crédit photographique :© Région Basse-Normandie - Inventaire général -https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/memoire/IVR25_19791400105 ; à droite, une photo du cellier et du pressoir par Pascal Corbierre Crédit photographique :© Région Basse-Normandie - Inventaire général -https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/memoire/IVR25_19791400104
Les seigneurs d’Urville :
« Puissante au moyen âge, la famille d'Urville joua un assez grand rôle pendant la guerre de Cent ans, mais elle disparut complètement au commencement du 15e siècle : c'est ce qui explique l'oubli où elle est tombée depuis longtemps. (…)
D'après la gravure des tombeaux et divers sceaux conservés à la Bibliothèque nationale (Pièces originales vol. 2904, doss. 64.751, d'Urville) et à la Collection Mancel à Caen (ms. 30, n° 75) les armoiries de cette maison peuvent être ainsi reconstituées : de à la fasce de. et à l'orle de. (Peut-être pourrait-on lire : D'argent à la fasce de sable et à l'orle de.). Supports : deux lions ; écu tenu par une femme à mi-corps.
La famille d'Urville était un rejeton détaché de la vieille souche des Marmion du Cinglais. De Robert Marmion et de Mahaut de Beauchamp descendirent Robert V Marmion et Guillaume, seigneur d'Urville, qui, en 1181, fit des dons à l'abbaye de Barbery. Ce dernier épousa N. de May (Cartulaire de la seigneurie de Fontenay.le-Marmion, édit. Saige, Monaco, 1895, in-4°, p. XXIII) et devint la tige des seigneurs d'Urville. Roger d'Urville, fils de Guillaume, se signala par ses largesses envers les abbayes de Barbery et de Fontenay, notamment en 1245 et 1259 (Archives du Calvados. H.).La charte XXIV du cartulaire de Fontenay-le-Marmion donnée, en 1282, en faveur de l'abbaye de Troarn, nous montre qu'à cette époque les biens de Roger d'Urville étaient passés à son neveu, Jean, fils de Jean, seigneur de Bretteville-sur-Laize, qui devint ainsi seigneur d'Urville. A cette époque, la terre et la seigneurie de Fontenay-le-Marmion étaient déjà aux mains des Bertran. Jean d'Urville eut un fils, nommé Robert, qui, « l'an de grâce, mil trois cents et huit (v. s.), le jour de mardi après la feste Saint Fabien et Saint Sébastien [le 21 janvier], épousa Aelis de Falaise ». Ce sont ces deux personnages (Arch. du Calvados. E. 469 (voir pièces justif.),) dont les restes ont reposé, près de six siècles, dans l'ancienne église d'Urville. » [7]
« La famille de Mathan est une des plus anciennes maisons de Normandie. Jean de Mathan, premier du nom, vivait au 11e siècle. Nicolas de Mathan, chevalier, était seigneur de Mathan, Longvillers, Jurques, Saint-Martin-de-Villers, Bellonde, Montpied, Urville, La Selle, Le Homme, Le Tilleul, Pierrefitte, La Forêt, Coulonges, Saint-Ouen-le-Brisoult et Saint-Pierre-de-Semilly. - Fils de Gilles de Mathan, chevalier, mort en 1500, et de Jeanne de Coulonges, dame de Coulonges au Maine et baronne de Saint-Ouen-le-Brisoult. - Petit-fils de Jean de Mathan, chevalier, et de Jeanne d'Urville (fille de Jean, seigneur d'Urville, et de Jeanne de Clinchamps). » [10]
Ci-dessus, le blason de la famille de Mathan, de gueules à deux jumelles d'or et un lion passant d'or en chef, armé et lampassé de même, extrait de https://man8rove.com/fr/blason/s0mn824-mathan
« Famille de La Longny,
On ne voit pas au juste à quelle époque cette famille est entrée en possession de ses domaines dans le Cinglais.
Son premier chef bien connu, Jean de La Longny, ne nous apparaît d'abord que Seigneur de Grainville, en 1371. (Histre, de la Mo. d'Harct., p. 1362.)
Adam de La Longny, l'un des descendants dudit Jean, se trouve vers 1556 ? qualifié des titres de Baron de Conteville, Seigneur d'Urville, du Mesnil- Touffray , de Moult, de Mathan, de Mithois, de Ruqueville, du Mesnil-Manissier de Grainville et de Gouvix. (Id. ib., p. 1361.)
Tous ces domaines passèrent à son fils,Charles de La Longny, qui devait fleurir en 1586?(Id. ib.)
Charles les laissa après lui à sa fille et unique héritière Jeanne, qui les porta dans la maison Duperrier, - d'où ils furent immédiatement transférés dans celle d'Harcourt-Beuvron, en 1636. (Id. ib., p. 1360, etc.)
Les armoiries de la maison de La Longny étaient d'azur à la croix d'or, accompagnée de quatre clefs d'argent. (Id. ib., p. 1363.) » [9]
Ci-dessus, blason de la famille de La Longny par Gilloudifs
Protection
« Manoir du 14e siècle : inscription par arrêté du 2 janvier 1929 » [8]
A proximité
« L’église paroissiale Notre-Dame date du début 17e siècle. Elle a été fondée en 1604 par Charles de Lalongny, seigneur d’Urville en remplacement de l’ancienne église paroissiale Saint-Vigor. Elle est inscrite au titre des Monuments Historiques depuis le 4 octobre 1932. » [1]
Ci-dessus, à droite, une photo de l'église d'Urville par Gilloudifs.
Sources :
[1] Extrait de https://www.suisse-normande.com/nos-42-communes/urville/
[2] Extrait de la Statistique de l'arrondissement de Falaise, Volume 3 par Frédéric Galeron - Brée l'aîné, 1829 - https://books.google.fr/books?id=-UEriSQImBAC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
[3] Extrait de Les Fortifications de terre et les origines féodales dans le Cinglais par Michel Fixot - Publications du CRAHM, 1968 - 123 pages https://books.google.fr/books?id=l5_aCg3J2fMC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
[4] Extrait de Les enceintes d'Urville et de Bretteville-sur-Laize (Calvados) par Joseph Decaëns in : Annales de Normandie, 18ᵉ année, n°4, 1968. pp. 311-375 ; https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1968_num_18_4_6396
[5] Extrait de Wikipédia
[6] Extrait de la Statistique monumentale du Calvados, Volume 2 par Arcisse de Caumont – Éditions Derache, 1850 https://books.google.fr/books?id=QdwDAAAAYAAJ&pg=PA251&focus=viewport&hl=fr&output=text#c_top https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96626634/f268.image.r=%22manoir%20d'Urville%22?rk=107296;4
[7] Extrait du Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie - Éditeurs : Derache (Paris) / Didron (Caen) / Hardel (Rouen) / Le Brument () / Société des antiquaires de Normandie (Caen) Date d'édition : 1926 - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62831717/f571.item.r=%22seigneur%20d'Urville%22
[8] Extrait de https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00111771
[9] Extrait des Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie - Société des antiquaires de Normandie., 1837 - https://books.google.fr/books?id=ncMAAAAAYAAJ&pg=PA153&lpg=PA153&dq=famille+de+LaLongny&source=bl&ots=vyY3-o42T2&sig=ACfU3U098AQOio1xsPG2sXJlilwTxjZkfQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiTiMjf8Kz5AhXlxoUKHY3VDbkQ6AF6BAgcEAM#v=onepage&q=famille%20de%20LaLongny&f=false
[10] Extrait de L’abbé de Saint-Pierre, L’homme et l’œuvre par Joseph Drouet (p. 351 à 357) http://le50enlignebis.free.fr/spip.php?article14033
Bonnes Pages :
O Les Fortifications de terre et les origines féodales dans le Cinglais par Michel Fixot - Publications du CRAHM, 1968 - 123 pages https://books.google.fr/books?id=l5_aCg3J2fMC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
O Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie - Éditeurs : Derache (Paris) / Didron (Caen) / Hardel (Rouen) / Le Brument () / Société des antiquaires de Normandie (Caen) Date d'édition : 1926 - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62831717/f571.item.r=%22seigneur%20d'Urville%22
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